Entre Somme 1916 et Artois 1917
Lors de ma précédente excursion sur les sites de la bataille de la Somme de 1916 (Sur les traces de la bataille de la Somme) je n’avais pas pu faire tout ce que je désirais. Alors j’y retourne pour « terminer le travail ». Et comme je ne serai pas loin d’eux, j’irai aussi voir certains sites mémoriels consécutifs à la bataille d’Arras de 1917.
En selle donc pour l’autoroute A1 jusqu’à la sortie 13, Péronne-sud. Ensuite je prends la direction de Vermandovillers où se trouve le cimetière militaire allemand du même nom. Je traverse Soyécourt puis Vermandovillers. C’est peu après que se trouve le cimetière allemand de Vermandovillers.
Grand… Alignement des croix noires dans un soleil encore bas. Calme absolu. Saules pleureurs.
Comme à chaque fois dans ces endroits, l’ampleur du site et cette multitude de tombes incite à la retenue.
Concernant les cimetières (et nécropoles)
Pour les français, les regroupements des tombes se sont majoritairement faits après guerre, jusque dans les années 30. La loi du 29 décembre 1915 instaure les Nécropoles nationales offrant aux combattants « Morts pour la France » une sépulture perpétuelle. Ces nécropoles sont propriétés de l’Etat et entretenues par lui. En 1920 une loi autorise la restitution des corps aux familles.
La réalisation des nécropoles relève d’une circulaire ministérielle de 1927 stipulant entre autre que le drapeau français doit s’y trouver au centre.
Il faut rappeler que pour les français l’inhumation en tombe individuelle et non pas en fosse commune (en particulier pour les militaires du rang) est une attitude « tardive » : 1830 , au cimetière militaire à Sidi-Ferruch en Algérie pour la première fois. La guerre de Crimée (95000 morts français) verra le prolongement des fosses communes avec cependant des regroupements par unité. Pour la première guerre mondiale, le nombre de victime étant tellement important que des ossuaires ont été créés, en plus des tombes individuelles.
Chez les britanniques les fosses communes sont exceptionnelles, l’inhumation en tombe individuelle dans des cimetières proche des lieus de décès étant la règle depuis la guerre des Boers (1901-1903 en Afrique du Sud, propriété de l’Empire Britannique). L’entretien des cimetières britannique est assuré par le CWGC (Commonwealth War Graves Commission). La branche française emploie environ 400 personnes dont près de 300 jardiniers pour entretenir 2 900 lieux de mémoire des 600 000 soldats qui reposent en France. .
Concernant les cimetières allemands en France, la situation fut plus complexe. Le traité de Versailles stipulait que les belligérant assureraient l’entretien mutuel des cimetières sur son sol. Mais après la défaite de 1918 et ses conséquences politiques et économiques, l’Allemagne était incapable de prendre en charge l’ensemble des cimetières provisoires des victimes allemandes érigés pendant le conflit. La France s’en est donc chargée initialement. En 1922 elle reconnait le droit à ses « ex-ennemis » tombés sur son sol de disposer d’une sépulture perpétuelle. En 1926 un accord autorise de VDK (Volksbund Deutsche Kriegsgräberfürsorge, Service d’entretien des sépultures militaires allemandes) à assurer l’entretien des tombes et cimetières sous la supervision de l’administration française. C’est en 1966 que le VDK devient seul responsable de la gestion des sépultures.
Non loin de là se trouve le bois de Wallieux situé juste à côté de Soyécourt.
Le village de Soyécourt, occupé dès 1914, fut délivré le 4 septembre 1916 par l’armée française, après une intense préparation d’artillerie. La zone est aménagée exposant (derrière des clôtures) des restes de tranchées, abris et les innombrables trous d’obus. Ce petit bois est une sorte de séquelle arborée…
Je me rends ensuite à l’ancien village de Fay. Comme autour de Verdun, de nombreux villages ont immensément souffert des combats, ayant été plus ou moins totalement détruits.
Ce village-ci a été pris par les troupes coloniales françaises (265e RI) le premier jour de l’offensive de la Somme. Il sera repris par les allemands en mars 1918 lors de la contre-offensive dite « du Kaiser ». Ce sont les Australiens qui le libéreront fin août 1918.
Totalement détruit à la fin de la guerre, le village a été décoré de la Croix de guerre 1914-1918, le 27 octobre 1920.
Initialement ce village n’aurait pas dû être reconstruit car situé en Zone Rouge. Mais devant les retour des habitants fin 1919, la reconstruction fut finalement débutée en 1922, mais quelques centaines de mètres plus loin, ce qui est une exception pour les villages reconstruits.
Cheminant dans les grande plaines cultivées je parviens au belvédère de la montagne de Frise.
Ce bucolique endroit dominant les marais de la Somme était sur la ligne de front. Comme dit dans tous les guides, Blaise Cendrars, engagé volontaire dans la Légion étrangère et qui perdit une main aux combats en 1915, y fut en poste en 1914-15.
Ce site est devenu une réserve naturelle assez fréquentée. Etonnant quand on sait la pollution induite par les milliers d’obus de toutes sortes tombés ici (et ailleurs). Mais ce jour l’endroit est très calme et une courte balade sur les sentiers emmène sur de superbes points de vue sur les marais et étangs de la Somme.
Il est toujours difficile d’imaginer qu’ici, à quelques dizaines de mètres les uns des autres, des hommes se sont battus dans un abominable conflit.
Après cet intermède champêtre et piéton, je prends la direction de Péronne. En arrivant dans les faubourgs de la ville, à la recherche d’une pompe à essence, mon destrier ayant soif, je passe à côte du cimetière britannique de La Chapelette (du nom de l’ancien quartier). Alignement de pierres blanches sur un gazon immaculé.
Ce cimetière a une particularité : les inscriptions sur la tombe des défunts sont inscrites dans leurs langues maternelles.
Il compte 577 corps : 320 indiens, 207 britanniques, 49 australiens, 1 néo-zélandais, 3 égyptiens (ouvriers « recrutés » dans la colonie britannique qu’était l’Egypte).
La route située juste à côté n’est pas trop fréquentée au moment de ma visite, mais le côté paisible de l’endroit n’est quand même pas son fort.
Ayant abreuvé la bestiole (19 litres pour un réservoir de 20…), je traverse Péronne, passe à côté de l’église Saint-Jean-Baptiste et de la mairie.
Occupée par les Allemands dès août 1914, la ville fut presque entièrement détruite, entre autre par les bombardement français pendant la bataille de la Somme, car elle était un très important centre militaire allemand. Elle compta près de 30% de pertes civiles. Libérée en mars 1917 puis reprise 1 an plus tard, la ville sera définitivement libérée par les Australiens le 2 septembre 1918.
Chaque jour, le carillon de l’hôtel de ville ponctue les heures de midi et 18h des accords de “La Madelon”. Enfin, c’est ce qui est écrit… Car je ne suis pas passé aux bonnes heures ! A ce propos un petite vidéo assez drôle et instructive sur ce carillon capricieux ici…
A leur départ, les Allemands avaient laissé un grand panneau de bois sur les ruine de l’hôtel de ville avec l’inscription » Nicht ärgern, nur wundern » (ne pas se fâcher, juste s’étonner). Ce panneau est exposé à l’Historial.
A la réouverture des musées, je retournerai à Péronne visiter la ville et l’Historial (regroupant les musées de Péronne et Thiepval).
Je me retrouve devant le monument élevé en souvenir de la 2e division australienne. Le monument initial de 1925 qui représentait un soldat australien embrochant à la baïonnette l’aigle allemand a été démonté par les allemands en 1940 et fondu…
Le monument actuel date de 1971 et représente un « Digger » (soldat australien ou néozélandais, dans le même sens que Tommy pour les anglais ou Poilu pour les français).
Ce monument rend hommage à la prise du Mont Saint-Quentin par la 2e division australienne en Septembre 1918. La prise de cette place forte allemande fut un exploit militaire entrainant le repli de 5 divisions allemandes sur la ligne de défense fortifiée, la ligne Hindenbourg.
Située non loin, dans la ville de Bouchavesne-Bergen, trône une statue du Maréchal Foch.
Là aussi quelques petites précisions s’imposent. A commencer par le nom de la ville. Pour les calés en géographie (ou ceux qui ont suivi nos pérégrinations en Norvège), Bergen est une ville de la côte norvégienne. Mais que vient donc faire ici Bergen, en pleine Somme ?
Haakon Wallem, norvégien et armateur fortuné originaire de Bergen, visite la France et parcours les lieux de combat du conflit qui vient se se terminer. Marqué par ces destructions, lors d’une rencontre avec Foch, il lui demande de lui indiquer une commune des plus touchées afin de « l’adopter » (pratique usuelle alors, les moyens manquants en regard des destructions massives). Bouchavesne est désignée par Foch.
Le philanthrope organisera une collecte en Norvège. Les fonds seront versés à la commune qui en remerciement adoptera le nom de sa « marraine », Bergen en 1920. Sur les murs de la mairie sont présents les écussons représentant Wallem et la ville de Bergen.
L’homme voulut également qu’une statue de Foch soit présente à Bouchavesnes-Bergen. Elle sera l’oeuvre de Firmin-Marcelin Michelet (natif de Tarbes comme Foch) qui a aussi réalisé la statue du Généralissime présente dans la clairière de l’armistice de Rethondes (article ici [c’est à la fin] et photo là).
Je remonte en selle mais pour très peu de temps. Me voici à Rancourt.
Ici sont localisés une Nécropole Nationale, un cimetière britannique, un cimetière allemand et La Chapelle du Souvenir Français. Je laisserai de côté le cimetière britannique pour cette fois.
Pendant la bataille de la Somme, la prise de ce village signifiait la rupture du principal lien de communication allemand constitué par la route Bapaume-Péronne. C’est le 32e Corps d’Armée français qui fut de chargé de cette mission remplie en partie le 25 septembre 1916 au prix de lourdes pertes. Le village était complètement détruit à la fin du conflit. Rancourt est un des rares lieux commémorant la participation française à la bataille de la Somme (majoritairement britannique).
La Chapelle du Souvenir Français est née d’une initiative privée : la famille du Bos, originaire de la région, voulut ériger un monument à la mémoire de son fils et de ses camarades de combat tombés lors de l’offensive sur Rancourt. Une souscription internationale est ouverte sous la tutelle d’un comité présidé par la Mme du Bos puis à son décès en 1919 par la Maréchale Foch. La souscription aux Etats-Unis rapportera l’équivalent de 125000 francs. L’inauguration eut lieu le 22 octobre 1922. La chapelle est construite à l’endroit où est tombé le lieutenant du Bos. Elle marque aussi le point le plus avancé de l’offensive alliée. C’est le Souvenir Français qui assure la gestion du bâtiment et l’animation du mémorial depuis 1937
En raison de l’épidémie, comme tous les autres monuments « clos », elle est fermée et je ne pourrai la visiter.
La nécropole nationale de Rancourt, jouxtant la chapelle, est la plus grande nécropole française de la Somme (8 566 soldats sur 2,8 ha) : 5 327 tombes individuelles et 3 223 dépouilles dans 4 ossuaires. Elle accueille les victimes françaises, très nombreuses lors des 3 derniers mois de l’offensive.
Quelques centaines de mètres plus loin, j’atteins la nécropole allemande de Rancourt. Elle compte 11 422 sépultures : 3930 tombes individuelles avec des croix en pierre (dont 126 non identifiées) et 7492 corps dans 2 ossuaires dont 2316 non identifiés.
En se retournant on aperçoit la Chapelle du Souvenir. C’est un joli clin d’oeil : la Chapelle se veut lieu de paix et de réconciliation et à chaque cérémonie une gerbe est déposée dans chacun des 3 cimetières.
En route à nouveau, pour quelques kilomètres cette fois.
Je me rends juste à côté de Gueudecourt, au mémorial terre-neuvien de Gueudecourt. Il est orné d’une statue en bronze représentant un caribou (mâle, c’est précisé dans les guides…).
Celui-ci marque un épisode de la bataille du Transloy (une des bataille de l’offensive de la Somme) qui vit le Newfoundland Regiment (celui-là même qui avait été décimé à Beaumont-Hamel le 1er juillet) atteindre son objectif (la tranchée Hilt des premières lignes allemandes) le 12 octobre 1916, seule réussite du jour.
L’unité avait été déplacée moins de 48h auparavant d’Ypres. L’assaut fut donné à 14h05 : la 88e brigade à laquelle appartenait le régiment terre-neuvien était appuyé sur sa gauche par le 1st Essex Battalion. Un certain nombre de soldats furent tués par leur propre artillerie, les hommes progressant très (trop) prêt du tir de barrage. La tranchée Hilt fut prise au corps-à-corps et les terre-neuviens reprirent leur progression à près de 750m de leur ligne de départ vers leur dernier objectif. Mais le 1st Essex Battalion sur leur gauche fut contraint de revenir à sa position de départ en raison de la violente contre-offensive allemande laissant tout le flanc gauche de la 88e brigade dégarni et qui se heurtait également au feu nourri des défenseurs.
Le régiment se replia donc sur son premier objectif, la tranchée Hilt, et parvint à le tenir malgré plusieurs ripostes ennemies. L’unité fut relevée dans la nuit.
53h après son arrivée, le régiment terre-neuvien avait perdu 239 hommes dont 120 morts…
Le monument est élevé au niveau de la tranchée conquise et tenue par les hommes du régiment terre-neuvien. Les restes de cette tranchée sont visibles au pied du mémorial.
En quittant Gueudecourt, je quitte les monuments relatifs à la bataille de la Somme.
Je vais donc plus au nord en passant par Bapaume où je ferai une halte viennoiseries.
De nombreux monuments que je vais visiter par la suite sont secondaires, au moins initialement à la bataille d’Arras. Cette bataille de 1917 était en partie une diversion visant à aider l’offensive Nivelle sur le Chemin des Dames. On sait ce qu’il en est advenu…
Je poursuis donc mon périple en me rendant au mémorial Terre-neuvien de Monchy-le-Preux.
Cette fois encore il marque le souvenir d’un acte de bravoure d’hommes du régiment terre-neuvien.
Le 11 avril 1917 Monchy-le-Preux est enlevé par les britanniques de la 37e division.
Le 14 Avril 1917 à 5h30 une nouvelle attaque est déclenchée à l’Est vers la « colline de l’Infanterie », place forte sur les hauteurs tenue par les allemands. Elle implique à nouveau de 1st Essex Batallion et la 88e Brigade. Le 1st Essex atteignit ses objectifs en 90 minutes mais les compagnies terre-neuviennes furent décimées, les survivants capturés. La ville était alors sans défenses.
A l’état-major de Monchy, le lieutenant-colonel Forbes-Robertson apprenant la nouvelle vers 10h réunit les quelques hommes encore disponibles et, àtraversant un espace découvert, alla se poster à l’est de la ville dans une tranchée. Les 10 survivants parvenus à la tranchée réussirent à arrêter les 200 ou 300 Allemands qui progressaient vers le village. Ils furent relevés dans l’après-midi.
Une nouvelle fois le régiment a été presque anéanti. Sur les presque 600 hommes on compte 166 morts, 141 blessés, 153 prisonniers.
En reconnaissance de cet acte de bravoure, le roi George V autorisa le régiment à ajouter le terme Royal à son nom.
Comme à Gueudecourt, ce monument représente un caribou, bramant vers la colline de L’infanterie où les 10 ont repoussé l’ennemi. Il repose sur une ancienne casemate fortifiée allemande.
Quelques kilomètres plus loin, au nord de la bourgade de Fampoux, sur un chemin de terre se trouvent deux monuments. Le premier est le Seaforth Highlanders Memorial érigé en mémoire des 7 bataillons engagées dans la guerre. Le monument se dresse au sommet du chemin vers Bailleul à l’endroit où le 2e bataillon a combattus le 11 avril 1917 dans la bataille d’Arras subissant d’effroyables pertes : sur les 12 officiers et 420 hommes, 12 officiers et 363 hommes perdus. Seuls 57 sont restés indemnes…
Quelques dizaines de mètres plus loin se trouve un petit cimetière britannique. Le Sunken road cemetery reçoit les sépultures des hommes tombés entre avril 1917 et janvier 1918. 196 tombes dont 26 non identifiées. 16 d’entre d’elles furent détruites par des bombardements et bénéficient d’une stèle dédié.
Je reviens dans Fampoux par un court passage par un autre chemin de terre pour prendre la direction d’Athies. La ville avait été prise par la 9e Division Ecossaise le premier jour de l’offensive d’Arras, le 9 avril 1917. Par un autre chemin de terre et à travers champs je parviens au site comportant le monument commémorant la 9e division écossaise et le cimetière du point du jour.
Au sud d’Athies se trouvait une maison appelée Point du jour et fortifiée par les allemands qui défendait la ville. 82 soldats perdirent la vie pendant l’attaque. Parmi eux se trouvaient des hommes de la brigade Sud-Africaine ce qui valait à la division d’être surnommée Jocks ans Springboks.
Le cimetière fut érigé pour accueillir les dépouilles de ces soldats. Il a été agrandi au fur et à mesure des regroupements avec d’autres cimetières des environs pour accueillir maintenant 794 tombes dont 401 ne sont pas identifiées.
En 2002 lors de travaux de création d’un parc d’activité, le service archéologique de la ville d’Arras a mis à jour une fosse où 20 soldats du 10e bataillon du Lincolshire Regiment, originaires de la ville de Grimsby, avaient été enterrés les uns à côtés des autres, bras dessus, bras dessous. 5 de ces « Grimsby Chums », (« les potes de Grimsby ») reposent aujourd’hui au cimetière du Point-du-Jour.
En face du cimetière se trouve le Monument à la 9e Division écossaise.
Il fut inauguré le 9 avril 1922, 5 ans précisément après les combats. Suivant la tradition celtique, il s’agit d’un cairn (10m de haut et 9m de diamètre) dont les pierres furent rapportées d’Ecosse. C’est la reproduction du cairn érigé en Ecosse et commémorant la sanglante bataille de Culloden (où les Écossais, Irlandais et volontaires français favorables aux Stuart furent massacrés par les Anglais du duc de Cumberland).
Les noms des batailles livrées par la 9e division y sont gravés. A coté se trouvent 26 pierres qui rappellent les unités qui composaient cette division
Le monument a été déplacé à sa place actuelle en 2006 en raison des travaux réalisés pour la création d’un parc d’activités (qui a aussi mis à jour les Potes de Grimsby, cf. supra).
Je prends ensuite la direction de Neuville-Saint-Vaast. La ville est située à proximité de la colline de Lorette et de Vimy. La ville fut reprise en décembre 1915 après des terribles combats qui firent beaucoup de victimes (comme toujours dans cette guerre). La ville et ses alentours comportent de nombreux lieu de mémoire.
Le premier que je rencontre est lanNécropole allemande de Maison Blanche. Immense. 8 ha. Je vais la longer à moto me demandant si elle a une fin ! Elle porte le nom d’une ferme du voisinage.
Ce cimetière a été créé par les autorités françaises entre 1919 et 1923. Il regroupe les dépouilles de 44833 soldats provenant des cimetières de plus de 110 communes environnantes et originaires de plus de 100 unités différentes. Il s’agit essentiellement des victimes des batailles d’Artois sur les hauteurs de Lorette (1914-15) et de Vimy (1917-18).
C’est le plus grand cimetière allemand en France. Il comporte 36 848 tombes individuelles (4 noms par croix) dont 588 sont inconnues. 8040 soldats non identifiés ont été inhumés dans une fosse commune.
500 m plus loin se trouvent côte-à-côte le cimetière britannique de la Targette et la Nécropole Nationale de la Targette. L’étendue parsemée de ses pierres et croix blanches est impressionnante.
Le cimetière britannique de la Targette (cimetière de Aux Rietz)
Sa construction a débuté en Avril 1917, au moment de l’offensive d’Arras. Il sera utilisé jusqu’en septembre 1918. Fait inhabituel, près d’un tiers des tombes sont en rapport avec l’artillerie. En effet au moment de l’offensive les unités d’artillerie de la 2e Division canadienne et la 5e Division étaient postés à Aux Rietz.
Le cimetière comporte 638 tombes (335 Britanniques, 297 Canadiens, 3 Sud-Africains, 3 Indiens).
Les deux monuments de style indien au fond donnent une personnalité au cimetière qui tranche avec le côté aride de la nécropole française adjacente.
La nécropole nationale de la Targette
Elle est créée en 1919 et s’étend sur 4,45 ha. Elle contient 12 010 sépultures dont 8159 tombes individuelles et 3 ossuaires regroupant les dépouilles de 3 882 Français (soit un total de 11 443) et 169 Belges. 3212 corps sont inconnus dans les ossuaires.
Ce sont des victimes des deux batailles d’Artois (mai et automne 1915).
La nécropole recèle aussi des dépouilles de la 2e guerre mondiale : 593 Français (225 inconnus), 170 Belges, 4 Polonais.
Comme souvent, on est frappé par cet alignement austère sans fin de croix blanches. Rien pour accrocher le regard si ce n’est le drapeau français planté au milieu. Même si cela a répondu à des impératifs économiques (faire simple et économique), à mes yeux, cela majore l’aspect dramatique.
Quelques centaines de mètres plus loin à peine, se trouve la sculpture du Flambeau de la Paix.
Elevée en 1932 en souvenir de la libération de la ville de Neuville-Saint-Vaast (mai à juin 1915), cette sculpture monumentale composée d’une main géante tenant une torche qui représente « la main d’un soldat tué qui transmet, à travers les ruines de la guerre, le flambeau d’une civilisation si douloureusement sauvegardée aux générations futures ». Elle symbolise la reconstruction de la ville après sa destruction par les combats.
La plaque sculptée sur le poignet qui porte la date de la reprise du village aux allemands (8 mai 1915) ne faisait pas partie de la sculpture initiale et a été ajoutée à la demande du promoteur de l’opération, Ernest Petit. Au pied de la statue se trouvent des blocs de calcaire issus des maisons détruites de la ville.
Sur l’une des pierres a été scellée une plaque en bronze portant gravés ces vers d’Emile Poiteau (datés du 2 octobre 1932) :
« O, vivants, qui passez auprès de ce flambeau,
Qui dresse symbole aux champs des hécatombes,
Attardez vos regards sur ce sol plein de tombes,
Et songez à nos morts, dont le cœur était beau. »
Auparavant une arche en béton aujourd’hui disparue précédait le flambeau.
Cette sculpture était située à l’entrée de la « Cité des mutilés », qu’Ernest Petit (blessé de guerre également) avait faite construire pour héberger les mutilés qui gardaient les nécropoles. 16 pavillons individuels furent bâtis grâce à une souscription et aménagés selon les besoins de l’occupant mutilé. Ils étaient vendus aux mutilés au cinquième de leur valeur.
A Thélus, à la périphérie immédiate de Neuville-Saint-Vaast, se trouvent deux cimetières aménagés dans des cratères, vestiges de la guerre des mines. Ces deux cimetières sont des rares cas de fosses communes dans les armées du Commonwealth et les seuls ayant cet aspect.
Zivy Crater contient les restes de 53 Canadiens (5 inconnus) tombés en avril et/ou mai 1917 au moment de l’attaque sur la crête de Vimy. Les noms sont inscrits sur la stèle ornée de La Croix du sacrifice.
500 m plus loin (à vol d’oiseau…) se trouve Lichfield Crater.
Il est la conséquence de l’explosion d’une mine allemande le jour de l’attaque de la crête de Vimy par les Canadiens. Cette mine tuera 3 canadiens. Les corps de 56 soldats (dont 15 inconnus) canadiens sont inhumés dans ce cimetière. 1 soldat russe fait partie des victimes mais on ignore si c’était un observateur ou un prisonnier.
A la fin du conflit le corps d’un soldat britannique tombé en avril 2016 sera retrouvé sur le bord du cratère. Il y sera inhumé sous la seule stèle individuelle. Le nom des autres soldats est inscrit sur la pierre du monument.
Par ordre chronologique vis-à-vis de l’Histoire (les deux cratères étant les sépultures des assaillants de Vimy), je vais au Mémorial National Canadien.
Celui-ci se dresse majestueux et d’un blanc éclatant sur le bleu du ciel, au sommet de la colline de Vimy dominant la plaine de Douai. On y accède par un parc arboré dont chaque arbre a été planté par un canadien en mémoire d’un soldats tombé.
Malheureusement pour moi qui n’apprécie guère les foules, le site est très fréquenté même si les salles d’interprétation sont fermées. Je me balade un peu, restant à distance du monument.
Sur un plan factuel, évacuons les chiffres :
– bâti sur un terrain de 107 ha donné par la France au Canada en 1922 en remerciement de son aide pendant le conflit
– inauguré le 26 juillet 1936 par le roi Edouard VIII
– 2 tours de 27m au-dessus du socle représentant le Canada et la France
– 11000 tonnes de béton, 6000 tonnes de pierre de calcaire blanche très rare issue d’une carrière de Croatie (datant de l’époque romaine, utilisée pour la construction qui dura 11 ans et rouverte à l’occasion de la rénovation du monument en 2007)
– 20 statues allégoriques, la plus haute représentant la Paix.
Au delà des chiffres bruts, ce mémorial revêt plusieurs aspects.
Il commémore l’ensemble des victimes canadiennes du conflit et particulièrement les 11285 soldats disparus sans sépulture dont les noms sont gravés sur la pierre.
Le monument est érigé au sommet de la colline de Vimy, lieu d’une victoire militaire historique pour le pays, dont la conquête coûta à elle seule la vie à 3600 Canadiens et en a blessé plus de 7000.
Cette victoire sera la première d’une armée canadienne sur la scène internationale (le Canada fera partie des signataires du traité de Versailles). Ce jeune pays (indépendant depuis le 1er juillet 1867) était alors un dominion britannique (comme l’Afrique du Sud, l’Australie, la Nouvelle-Zélande). Ce qui signifie que sa politique étrangère était décidée à Londres. De facto l’entrée en guerre de la Grande-Bretagne a entrainé le Canada (et les autres) dans le conflit.
Sur une population d’environ 8 millions d’habitants, 640000 se sont engagés. Plus de 66000 (10%) ne reviendront pas et plus de 170000 seront blessés. Les conséquences du conflit pour cette jeune nation furent rudes mais elles lui permirent d’amener le pays sur la scène internationale en lui fournissant une étape clef dans son émancipation.
Le Mémorial national du Canada est l’un des deux seuls lieux historiques nationaux situés à l’extérieur du territoire canadien, l’autre étant le Mémorial terre neuvien à Beaumont-Hamel.
La bataille de Vimy
La crête de Vimy était une position dominante, prise en 1914 par les Allemands, très fortifiée. Elle avait été attaquée à plusieurs reprises (1914 et 1915) sans succès majeur, coutant la vie à des dizaines de milliers d’hommes (plus de 30000 morts et 100000 blessés).
Pour la première fois les 4 divisions canadiennes étaient réunies sur le front, sous le commandement du général anglais Byng. Elles furent déployées fin 1916. Analysant les échecs de la Somme, Byng fit préparer très en amont l’offensive de manière méthodique et complète. Repérage des lignes ennemies (au sol, par les airs), creusement de tunnels comportant des voies ferrées permettant d’acheminer et abriter hommes et matériel au plus près du front, organisation de la logistique (eau, munitions, stockage)… Des mines furent creusées sous les lignes allemandes. Des maquettes des positions ennemies furent construites à l’arrière afin d’entraîner les troupes. Tous les hommes disposaient d’une carte indiquant les objectifs. Une première dans le conflit.
Une organisation que l’on pourrait qualifier de moderne…
Une préparation d’artillerie d’une semaine fut engagée afin de ne pas permettre à l’ennemi de savoir quand aurait lieu l’assaut (la « semaine de souffrance » comme l’ont appelée les soldats allemands).
L’attaque débuta le 9 avril à 5h30, au même moment que les troupes britanniques attaquant Arras. Environ 20000 hommes s’élancèrent sur un front de 6 km, quittant les tunnels creusés à cet effet à moins de 100m des lignes allemandes. L’artillerie de près de 1000 canons fit pleuvoir un déluge d’obus sur les lignes allemandes (près d’un million d’obus seront tirés entre la préparation et les combats). Un barrage roulant « protégeait » les assaillants. La plupart des troupes allemandes furent prises par surprise et n’ont pas eu le temps d’atteindre leur poste de combat. On estime que les corps de 95% des soldats allemands tués à Vimy ne seront pas retrouvés…
Les 3 premières divisions remplirent leurs objectifs comme espéré en une journée. La 4e division butta sur la côte 145 (où se dresse maintenant le monument Canadien) avec des pertes avoisinant 50% pour certaines unités. La 145 sera prise que le 10 avril au matin et le 12 avril le « bourgeon », petite côte au nord de la 145 cédera enfin signant la victoire.
Aux alentours le sol porte encore les stigmates des bombardements, y compris dans les zones reboisées. Au loin se dessinent les terrils, vestiges de l’industrie charbonnière alors si importante et enjeu stratégique de la position de Vimy.
Quittant Vimy, je me dirige vers Souchez pour parvenir au cimetière britannique du Cabaret Rouge.
Après l’Armistice, la CWGC fait du cimetière, qui comportait quelques centaines de tombes, une nécropole regroupant 7 000 corps en provenance de 103 autres lieux d’inhumation (Nord et Pas-de-Calais).
Créé par un architecte et ancien soldat canadien, Frank Higginson, il rassemble au total 7 665 tombes de soldats du Commonwealth dont plus de la moitié est non identifiées :
6725 Britanniques, 749 Canadiens, 116 Australiens, 43 Sud-Africains, 15 soldats des forces indiennes, 7 Néo-Zélandais et 4 Allemands.
Parmi ces victimes on compte 70 membres du Royal Flying Corps et de la Royal Air Force.
Ce cimetière tire son nom d’un café initialement présent non loin. Il fut détruit comme tout le reste village pendant les combats de septembre 1915 qui verront la reprise du village par les troupes françaises.
En mars 1916, les Britanniques remplacent les Français sur le front d’Artois et créent le cimetière pour les combattants anglais et canadiens tombés dans le secteur. De nombreux canadiens tombés à Vimy sont enterrés dans ce cimetière et c’est de celui-ci que sera exhumé le 25 mai 2000 le corps du soldat inconnu canadien qui repose maintenant devant le Monument commémoratif de la guerre du Canada, place de la Confédération à Ottawa.
Je poursuis mon itinéraire vers Ablain-Saint-Nazaire afin de voir les ruines de l’église Saint-Nazaire.
Elles se situent à l’entrée Est du village. L’église fut édifiée vers 1505 par le seigneur Charles de Bourbon, en remerciement de la guérison de sa fille Louise à l’hospice de d’Ablain, considérée comme folle. L’église fut dédiée à Saint-Nazaire, Saint Patron guérisseur des maux de tête et construite par Jacques Caron, architecte de l’hôtel de ville d ‘Arras.
En octobre 1914, le front du conflit se fixe à 2 Km à vers l’Ouest. Les bombardements, essentiellement français, détruisirent l’église qui ne sera pas reconstruite malgré son classement en 1908. Les monuments historiques consolidèrent les ruines en 1983.
Depuis l’église Saint-Nazaire je monte vers la nécropole nationale Notre-Dame-de-Lorette. Ca grimpe fort sur la petite route. Et de penser aux malheureux qui ont combattus ici… Arrivé au sommet, je suis frappé par l’immensité de l’étendue des croix blanches. Encore. J’ai beau connaitre les chiffres, c’est terriblement impressionnant.
La nécropole est bâtie sur la colline de 165 m en mémoire des combattants de cette zone. Initialement cette colline se nommait mont Coquaine. En 1727 la construction d’un prieuré dédiée à Notre-Dame-de-Lorette a modifié l’usage et le nom est de la colline est devenu celui de la chapelle. Cette dernière sera détruite en 1794 après la Révolution francaise puis reconstruite en 1819.
Le site comporte le cimetière, la basilique, la tour-lanterne et le musée. Il mesure plus de 25 ha. C’est la plus grande nécropole militaire française. Elle fut inaugurée en 1925, regroupant plus de 150 cimetières.
Elle comprend un total de 43063 corps (39985 Français, 64 Russes, 1 Belge, 1 Roumain) reposant dans 20093 tombes et 22970 dépouilles dans 8 ossuaires.
L’accès au site à proprement parler est malheureusement impossible (Covid…). Je me contente donc de marcher le long de ce cimetière qui n’en finit pas. La tour-lanterne et la basilique trônent au-dessus de cet océan de tombes. Le soleil qui descend allonge les ombres des croix donnant encore plus de relief au paysage.
La colline, prise et très renforcée par les Allemands en 1914 était un point stratégique essentiel. Avec la crête de Vimy (également très puissamment fortifiée), elle protégeait le bassin minier capturé et qui tournait à plein pour soutenir l’effort de guerre allemand.
Conscient de cet enjeu, les Français et les britanniques ont tenté de reprendre ces positions lors des 3 batailles d’Artois. La première, en décembre 1914, alors que le front se stabilisait, fut un échec entrainant plus de 7000 morts chez les alliés. La deuxième campagne d’Artois (mai-juin 1915) permettra aux troupes française de reprendre Notre-Dame-de-Lorette. A un prix humain colossal et dans des conditions épouvantables : du 9 mai au 16 juin, les pertes s’établirent à plus de 102000 hommes (100240 soldats, dont 16194 tués, 63619 blessés, plus de 20000 disparus et 609 officiers tués et 1650 blessés). La 3e bataille visant à conquérir Vimy (ce qui n’avait pas pu être fait lors de la 2e) sera aussi un sanglant échec.
La colline de N.-D. de Lorette aura été un des lieux les plus disputés du conflit. On estime que le total des morts est de 100000 pour cet endroit…
En face de la nécropole, au bord de la colline se trouve l’Anneau de la Mémoire.
Il fut inauguré par le président de la République (F. Hollande) à l’occasion du centenaire du premier conflit mondial le 11 novembre 2014. C’est un mémorial international comportant les noms de 600 000 soldats de toutes nationalités tombés en Flandre française et en Artois entre 1914 et 1918.
Les plaques brillent au soleil donnant un relief particulier au monument.
Du haut de la colline on domine la région et la vue est jolie…
Je repends la route en redescendant la colline et me rends plus au Sud aux ruines du mont Saint-Eloi.
Ces ruines sont les restes d’une abbaye, fondée vers le VIIe siècle probablement par Saint-Vindicien, disciple de Saint-Eloi.
En 930 une église est bâtie pour protéger les reliques de Saint-Vindicien des raids normands.
De 1208 et 1221, l’église est rebâtie selon un style gothique. Pour 529 ans… L’abbaye va se développer de manière importante et rayonner sur tout l’Artois.
Entre 1733 et 1765 une d’importants travaux remplacent les constructions médiévales par un ensemble d’architecture classique. En 1750, l’abbé Roussel fait reconstruire l’église abbatiale. Les deux tours encore présentes aujourd’hui datent de cette période.
A la Révolution, l’abbaye est fermée, vendue comme bien national en 1793 et sert de carrière de pierre. Finalement les deux tours restantes sont rachetées par l’état en 1836 pour éviter leur disparition complète.
Pendant le premier conflit mondial ces tours étaient utilisées par les guetteurs français pour surveiller la colline de de Lorette et de Vimy.
Anecdote : Comme l’ennemi déclenchait le feu à chaque mouvement des soldats français, ces derniers cherchèrent l’espion avant de découvrir que les Allemands se fiaient en réalité à l’envol des oiseaux qui nichaient sur l’édifice.
En 1915, les combats d’artillerie détruisent le dernier étage des tours qui passèrent de 53 à 44 m de haut.
Bon, même le café en face est fermé…
Après ce grand tour je prendrai le chemin du retour. Le trajet de la balade touristique fait 180 km. La totalité du trajet du jour fait 470 km…
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Vidéo(s) du jour
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Partie 1
Partie 2
4 commentaires
domi1952
Bonjour, merci beaucoup pour ce CR / reportage sur ce drame de l’histoire.
Effarant ce que la folie des hommes peut engendrer.
Beaucoup de pensées émues à TOUTES ces victimes.
Gueule.kc
Oui, et il y a un moment où les chiffres perdent leur sens devant la multitude…
Giraud
Bonjour,
Je viens de découvrir votre blog sur les batailles de l’Artois pendant la grande guerre.
Magnifiquement documenté,c’est un vrai plaisir de vous suivre dans votre périple .
Un aïeul est enterré à notre dame de lorette et l’on est venu lui rendre hommage.
La carrière de wellington est aussi un lieu qui mérite le détour.
Tous mes respects.
Slurp slurp
Kurga😂
Gueule.kc
Merci Slurp Slurp… euh Pascal, enfin Kurga…
D’ailleurs ce n’était pas ton anniversaire récemment ?
La carrière de Wellington, c’est prévu pour dans pas très longtemps !
Peut-être retournerai-je aussi sur le Chemin des Dames, avec une visite de la Caverne du Dragon…
Bien respectueusement également 😀